Je commence ici une série de quelques articles. J’ai l’intention de m’attaquer un peu plus tard à quelques séries sur l’identité et la nature des nations, la linguistique, l’architecture institutionnelle de l’Europe, et peut-être aussi un peu de spiritualité laïque pour agrémenter le tout.
Ceci doit être le premier d’une série de messages exposant de manière succincte la pensée d’Emmanuel Todd. Emmanuel Todd, français, historien de formation (doctorat obtenu à l’Université de Cambridge), est aussi décrit comme anthropologue, démographe, politologue, prophète (!), et autres selon la quatrième de couverture de ses livres est connu de beaucoup en France pour ses coups de gueule, ses prises de position quelquefois à l’emporte-pièce (ou perçues comme telles) et souvent à contre-courant. Il s’est fait connaitre dans sa jeunesse après la publication de son premier livre La Chute finale, qui annonçait avant l’heure l’écroulement de l’Union soviétique. C’est parce que ces prises de position ne sont transparentes qu’à ceux qui connaissent son œuvre et ses livres. Difficile de résumer la pensée d’une carrière de chercheur en quelques entrevues !
Mais la pensée toddienne est en effet particulièrement riche à mon sens, et contribue de manière tout à fait singulière à la compréhension du monde moderne ! Les recherches et les livres d’Emmanuel Todd, se fondant essentiellement sur des analyses anthropologiques et démographiques, débordent très souvent de ces domaines et embrassent la politique, l’économie, etc. D’une très grande culture générale, je le considère comme un ultragénéraliste, un macropenseur, à même de synthétiser des sommes colossales d’informations (son dernier opus, L’Origine des systèmes familiaux, tome 1, étant particulièrement édifiant en la matière – mention spéciale aussi pour L’Invention de l’Europe, 1990). Ses théories, étayées par ces montagnes de données, l’éclairent sur les trajectoires possibles de l’avenir.
La majorité de ses « prédictions », n’apparaissent donc pas dans une boule de cristal, mais en supposant la permanence de certains phénomènes dans le temps et dans l’espace (dans une certaine mesure, puisqu’en sciences sociales les changements sont rarement très nets).
Cette attitude tend d’ailleurs à réintroduire un certain déterminisme dans la perception de l’histoire qui a pu en déranger certains. Mais il ne faut à mon avis pas avoir peur : l’avenir a, par le passé (je sais…), toujours très bien su nous réserver surprise sur surprise. Il n’y a par contre rien de choquant à mon sens de penser que nombre de processus sociaux existent à l’intérieur de paramètres perceptibles et mesurables.
Voyons ci-dessous quelques-unes des caractéristiques principales de la pensée toddienne.
1. Une pensée spatiotemporelle
Emmanuel Todd a un amour immodéré des cartes. L’une de ses spécialités, comme on le remarque facilement en feuilletant ses livres, et comme il le reconnait lui-même dans l’un d’eux, est l’analyse du déroulement des évènements dans l’espace. C’est cette combinaison qui lui permet de mettre en lumière des corrélations surprenantes, dont l’une des plus importantes est bien sûr celle qui existe entre espaces anthropologiques et idéologiques. Notons aussi l’attention particulière apportée au processus de diffusion (par exemple l’alphabétisation) dans l’espace. C’est en quelque sorte un géohistorien.
2. Une attitude quantitative
L’analyse toddienne est, depuis le début, porté par les chiffres et l’analyse statistique. Qu’il s’agisse d’éplucher des recensements ou d’analyser des statistiques officielles, coefficients de corrélation, petits tableaux et autres ne sont jamais loin pour faire apparaitre la réalité. Les résultats des travaux d’Emmanuel Todd ont souvent un aspect qualitatif, mais ses livres ont plus souvent qu’à leur tour une saveur quantitative.
3. Pluridisciplinarité
La perspective « macro » implique souvent de déborder de la démographie et de l’anthropologie, pour aller voir l’économie, la politique, la linguistique, voire même la culture populaire.
4. Commentateur à tous les temps
La pensée toddienne est bien sûr historique, mais M. Todd n’hésite jamais à commenter le présent, et même l’avenir. Je pense que c’est ce qui l’amène souvent à commenter la politique et l’économie actuelles, car le présent ne peut être que le résultat du passé, et les régularités trouvées dans ce passé ne peuvent qu’éclairer ce qui suit. Le présent est aussi une grande expérience permettant de valider ou d’invalider des hypothèses.
Note sur le style
Emmanuel Todd écrit mais est aussi interviewé. Toutefois son style oral est quelquefois difficile à suivre comme il l’a lui-même fait remarquer il y a un ou deux ans de ça lors d’une émission d’Arrêt sur image. Le mécanisme et le fond de sa pensée se trouvent bien plus dans ses livres que dans les entrevues. Il faut souvent avoir lu les livres pour comprendre les entrevues.
Et voilà, petite intro trois fois plus longue que prévu. À suivre…