Réflexions québécoises (4/4) – Un avenir de possibilités

Les drapeaux du Québec, du Canada et de Montréal
(Photo: Nicolas Viau)

Quatrième (et dernier) d’une série de quatre articles présentant quelques réflexions sur le Québec d’aujourd’hui.

Partie 1 / Partie 2 / Partie 3

Et pour l’avenir? Nous approchons de la fin de cette petite réflexion. Je terminerai avec quelques remarques sur les perspectives concrètes offertes au Québec, y compris dans la nouvelle donne politique, depuis 2018 (aboutissement d’un séquence de plusieurs années).

Je propose aussi au bas de ce texte quelques lectures pour approfondir les réflexions de cette série.

Des voies d’avenir diverses

Quelle voie d’avenir privilégier, parmi celles qui s’offrent à nous? Il est important que toutes les portes restent ouvertes. Une stratégie qui ne vise qu’un seul scénario n’est pas «résiliente». Il ne faut pas préjuger des choix futurs qui pourraient ou décevoir ou se révéler complètement inattendus, et éviter de pratiquer la politique du pire, visant à ne vivre que pour les crises qui, en plus de laisser des traces et de susciter la mauvaise volonté, révèlent aussi un certain désarroi.

Entre autres, comment pourrait se recomposer l’échiquier politique québécois, qui semble avoir trouvé une nouvelle stabilité – mais est-ce optimal?

Horizon démographique et garanties d’autonomie

Commençons par un détour sur une contrainte importante: le poids démographique du Québec à l’intérieur du Canada, en lente érosion relative (mais non absolue, la population augmentant régulièrement). C’est bien entendu une source d’inquiétude.

Il est toutefois à noter que si le français représentait environ 23 % du Canada comme première langue officielle parlée en 2016 – comme le Québec, d’ailleurs – il survit, de toutes façons, dans un contexte où ce ne sont pas les trois quarts de son environnement continental direct qui est anglophone, mais plutôt 98 % – un environnement géographique indépendant de son statut politique. Quant à la santé du français au Québec même, cela rejoint le sujet de la partie 3.

La situation s’améliore aussi lorsqu’on regarde au-delà de l’Amérique du Nord, le français étant une langue de grande diffusion, d’où l’idée d’avoir accès – de se mettre en réseau, en quelque sorte – avec d’autres espaces (voir partie 2).

Si un poids démographique important est assurément un grand atout, ça ne fait pas tout. À peu près partout, la reconnaissance de langues officielles est un acte politique. Rappelons que l’italien ne pèse que 8 % de la Suisse, et y est officiel au niveau fédéral. Le suédois est à 5 % en Finlande, où il est langue officielle aux côtés du finnois. L’allemand, langue officielle en Belgique, est à moins de 1 %, tout comme l’irlandais (un cas un peu spécial, j’en conviens). Que pèsent l’irlandais, le maltais ou l’estonien dans l’UE, dont ils sont juridiquement langues officielles (certes pas langues de travail et on s’éloigne certes du contexte)? Le respect qui leur est dû est indépendant de leur poids démographique.

C’est bien sûr pourquoi il est capital que le Québec dispose de fortes garanties d’autonomie. Une partie de la solution serait bien entendu de nature constitutionnelle, attribuant par exemple enfin au Québec un véto, tel que négocié à Meech (conformément à la vision d’un Canada «pacte» entre anglophones, francophones – et dans l’avenir, espérons-le, nations autochtones). On dira que c’est plus facile à dire qu’à faire étant donné l’historique des négociations constitutionnelles des 40 dernières années. Certes, mais les autres options n’ont pas plus porté fruit. Les peuples autochtones, qui attendent depuis longtemps de grands changements, sont d’ailleurs peut-être en train de tracer une voie vers la réouverture de la constitution – et ils constituent environ 5 % de la population.

Tout ça pour dire que si la démographie est une grande aide, elle n’abolit pas toute politique.

Un blocage électoral

Politique à laquelle nous arrivons maintenant. (Je laisserai de côté la politique fédérale, trop différente, pour me concentrer sur le Québec.)

L’avenir politique et constitutionnel du Québec semble quelquefois dans une impasse: pour les souverainistes, la réalisation de leur option ne semble pas à l’horizon, et pour les fédéralistes, le statu quo semble résumer l’avenir. Pendant ce temps-là, la vie continue et le Québec doit se frayer un chemin historique.

Commençons par les partis. Le Parti Québécois (PQ) s’est partagé avec le Parti libéral du Québec (PLQ) pendant près d’un demi-siècle le rôle de partis dominants, s’opposant bien sûr sur la question nationale, mais mettant en œuvre le consensus issu de la Révolution tranquille, commencée sous les libéraux, poursuivie par le PQ, et dont les réformes fondamentales n’ont pas été remises en question par le PLQ ensuite.

Le PQ souffre selon moi de deux problèmes principaux. Tout d’abord, il ne semble pas y avoir une majorité écrasante au Québec à vouloir couper tous les ponts avec le Canada, bien que l’aspiration à plus d’autonomie (allant jusqu’à l’indépendance) soit bien sûr présente de tout temps. D’autre part, il s’est présenté au cours de l’histoire comme parti du progrès social et du «bon gouvernement», tout en protégeant les intérêts du Québec. L’alliage souveraineté-progressisme lui a toutefois permis de former plusieurs majorités au fil du temps.

Aujourd’hui toutefois, il y a à mon sens des blocages sur les deux fronts car, la ferveur souverainiste étant retombée – et le PQ voulant à tout prix éviter un troisième échec référendaire – il est obligé pour se faire élire de se contorsionner en assurant à un électorat en partie rétif qu’il ne fera pas de référendum dans un premier mandat pour faire élire ses candidats. Deuxièmement, même en conservant un tropisme généralement social-démocrate, le PQ a très visiblement refroidi une proportion importante de «progressistes» en proposant sa «Charte des valeurs» (suivie la loi 21 de la CAQ), laquelle a d’ailleurs semblé être une sorte de nationalisme de substitution post-souverainiste.

En résulte un blocage qui fait que le PQ ne peut ni facilement se faire élire (pour preuve ses dégringolades électorales), repoussant aujourd’hui une partie de l’électorat qu’on appellera pour simplifier «progressiste», ni mettre en œuvre son article 1, contrairement aux souhaits des souverainistes.

Quant au PLQ, aux prises avec de nombreuses difficultés éthiques au cours de la quinzaine d’années écoulées, et malgré une dérive qu’on pourrait qualifiée de néolibérale (mais le monde entier ou presque l’a subie) il survit tout de même grâce à sa base traditionnelle, lui garantissant un minimum de sièges. Il n’a toutefois pas eu à se remettre en question autant que le PQ idéologiquement parlant.

C’était sans compter l’arrivée la CAQ qui ne s’embarrasse ni de progressisme, ni de souverainisme, et qui a par la suite su coalisé de nombreux déçus du PQ et du PLQ, et qui se révèle difficile à attaquer de la part tant du PQ (sur le terrain «nationaliste») que du PLQ (avec la «peur du référendum»). Le tout pour ensuite rafler la mise électorale en 2018, comme on le sait, et sembler maintenant indélogeable.

De son côté, Québec solidaire est petit et probablement trop à gauche pour une grande partie de la population remporter une majorité.

Est-ce donc la fin de l’histoire? Peut-il exister un parti d’opposition compétitif?

Les risques d’une polarisation accrue

Étant donné la coupure observée entre Montréal et les régions lors des derniers scrutins, la persistance, voire l’aggravation de cette division fait courir le risque au Québec de la «perte» de sa métropole.

Cette dissociation serait extrêmement dommageable pour l’ensemble du Québec (qui a besoin de sa grande métropole francophone) que pour Montréal comme on l’a vu dans la partie 1. Montréal est une grande ville diversifiée et cosmopolite, comme toute métropole moderne – mais c’est aussi le cas de Toronto ou de New York. Ce n’est pas cela qui est en cause. Montréal se distingue comme métropole d’un espace original, le Québec.

Il faudrait donc que le système partisan puisse évoluer de manière à éviter un renforcement de cette polarisation. Pour additionner, plutôt que diviser.

Et pourtant il faut avancer…

Alors comment les cartes se rebrasseront-elles? Un retour – hypothétique – du PQ et une troisième aventure référendaire? À la faveur d’une crise avec le gouvernement fédéral qui réveillerait la ferveur souverainiste – en lien avec la loi 21? Un problème conjoncturel lié à la gestion de la crise sanitaire? Autre chose? Toutes les solutions ne se valent pas, toutefois, et il y a de bonnes et de moins bonnes manières d’avancer.

Est-il sain de pratiquer la politique du pire pour avancer? Du point de vue du PQ, s’il faut attendre une dégradation des relations fédérales-provinciales, c’est peut-être un signe que le soutien, la «majorité claire» n’est pas là, même s’il s’agit d’une minorité très importante. Définir la «victoire» ou la réussite uniquement par l’atteinte d’un seul but signifie s’exposer à un risque élevé de mise en échec, au cas où cette victoire ne se matérialiserait jamais. Ne faut-il pas être ouvert à ce que la «réussite» puisse prendre des formes politiques diverses, même imprévues?

La question de l’autodétermination

S’il fait partie du consensus que le Québec a droit à l’autodétermination (après tout, même la Cour suprême et loi sur la clarté le reconnaissent), et que selon toute vraisemblance il persistera, peut-être faut-il chercher à faire vivre ce débat hors des cercles partisans. Pourquoi ne pas mettre en place un système de référendum d’initiative populaire (restreint à ce sujet ou non), comme en Suisse? Le déclenchement d’un référendum ne dépendrait plus seulement des partis. Ceux et celles qui souhaiteraient une telle consultation devront appuyer son déclenchement au cours d’une campagne puis convaincre la population d’appuyer son option, selon un processus encadré par la loi. Pourrait-on aussi envisager une consultation forçant l’ouverture de négociations constitutionnelles? Une façon de rendre le débat à la population et d’éviter d’en faire l’otage des partis.

Parallèlement, le Québec ne s’arrêtera pas de vivre, et quelle que soit l’issue des différents débats politiques qui l’animent, différents choix seront faits, comme toujours. Les partis devraient s’accommoder des tendances de l’électorat, ou tenter de l’influencer. Sans arrêter ni gauche ni droite. Mais ne pourrait-on pas affirmer qu’il s’agirait là d’un changement de paradigme?

Peut-être qu’à ce moment-là, un parti un peu plus progressiste sera capable reconquérir une grande partie de l’électorat, y compris une partie des progressistes aujourd’hui divisés surtout entre PQ et QS, et peut-être une partie des gens qui n’auraient jamais voté pour le PQ. Le bon gouvernement, la social-démocratie, la défense de la nation québécoise, des débats identitaires, l’environnement, le tout coiffé d’un projet de souveraineté, ça fait quand même beaucoup pour un seul parti – peut-être même trop?

Si cette nouvelle base incluait déjà ne serait-ce qu’une saine promotion des intérêts du Québec et de sa langue, une bonne gestion sociale, économique et environnementale et si le parti – et au-delà, la nation québécoise – réussissait à rallier les nouveaux arrivants, n’aurions-nous pas fait un pas en avant?

Petite conclusion de la série: l’ambivalence tant désirée

J’ai donc tenté au cours de ces quatre parties de (semi-)organiser quelques réflexions sur les défis actuels du Québec. Il est courant ces temps-ci, de tous les côtés, d’avoir une vision quelque peu pessimiste de la situation, que ce soit lorsqu’on parle de langue, de diversité, d’identité, de la question nationale, de crise sanitaire, etc.

La situation du Québec peut paraitre à certains nombreux égard inaboutie. Mais qu’on me permette pour finir une petite réflexion à ce sujet pour clore la série.

L’appartenance à la fédération canadienne sera peut-être toujours inconfortable – inconfort qui a d’ailleurs peut-être été l’une des sources de la créativité québécoise. Une fédération est un système complexe qui évolue sans cesse et est tiraillée entre tensions centralisatrices et décentralisatrices. Le Québec pourrait fort bien être indépendant, avec ou sans association. De très nombreux pays sont plus petits que le Québec, avec des territoires, des populations ou des PIB par habitant inférieurs. Toutefois, le Québec a, par conviction ou par défaut, pour l’instant refusé la rupture et implicitement choisi une troisième voie autonomiste.

Un autre paradoxe? Peut-être pas. Le Québec n’est-il pas d’ailleurs à ses origines une «synthèse», avec une histoire prend certes sa source en Nouvelle-France, territoire habité par les Première nations puis exploré par les colons avec elles, mais une part de lui-même qui est aussi britannique. Il est assurément très distinct, mais aussi fort canadien – étant le berceau historique de l’entité canadienne et de ses symboles – vu de l’extérieur. Peut-être est-ce pour cela qu’il ne peut se résoudre à le quitter? Et force est de constater qu’il semble y avoir ici une ambivalence consensuelle. À tout le moins puisse l’aptitude au consensus (bien plus grande qu’en France, par exemple) servir le Québec dans une nouvelle phase de l’histoire, sans préjuger de l’avenir.

L’histoire du Québec est pleine de surprises. Il n’était pas écrit dans le marbre il y a 250 ans qu’il y aurait en ce coin d’Amérique une nation francophone moderne, hautement estimée de par le monde. La loi 101 a remodelé le paysage linguistique et donné un nouveau statut au français, et aura peut-être été en définitive l’acte le plus marquant en faveur de la diversité linguistique en Amérique du Nord au 20e siècle (au risque de faire se soulever quelques sourcils). Et ne parlons pas des succès culturels, industriels, et plus.

Dans un monde que certains voudraient postwestphalien, avec des acteurs qui ne sont pas nécessairement des États souverains, il se pourrait que le Québec finisse par avoir la faveur de l’histoire. Un avenir de possibilités qui, à n’en pas douter, saura nous surprendre.

LECTURES SUGGÉRÉES

Pour finir, j’aimerais aussi suggérer trois lectures pour approfondir quelques-uns des thèmes traités dans chacune des trois premières parties (un rapport en ligne et deux livres).

PARTIE 1
L’enseignement des langues étrangères comme politique publique, François Grin pour le Haut Conseil de l’évaluation de l’école (2005)

Il s’agit d’un rapport accessible en ligne gratuitement, rédigé par le chercheur suisse François Grin pour le Haut Conseil de l’évaluation de l’école, en France, pour explorer des questions liées à la politique d’enseignement des langues. Assez connu dans le milieu espérantophone, notamment car l’un des scénarios analysés implique l’espéranto, il est à mon sens surtout important car il tente de quantifier les couts (estimés à 25 milliards d’euros annuellement pour l’UE de 2005) dus aux déséquilibres linguistiques en Europe, portés essentiellement par les États non anglophones. C’est donc, même si le contexte est européen plutôt que canadien, un bon rappel que la langue n’est pas un outil neutre ou un attribut sentimental, alors que la culture de masse actuelle n’incite pas nécessairement à la prise de conscience sur ce plan.
Si le temps manque, lire le résumé, la conclusion et le chapitre 6.

PARTIE 2
Serions-nous plus libres après un Oui?, Mario Polèse, Les Éditions Voix parallèles (2009)

Déjà mentionné dans cette partie, ce court mais très intéressant essai du chercheur Mario Polèse, ancien conseiller du gouvernement Lévesque, soulève notamment les enjeux pratiques liés à un partenariat Québec-Canada suite à une éventuelle souveraineté. Différents aspects, dont la langue et la préservation de l’espace économique canadien, sont traités. L’auteur remet aussi en question certains postulats de base de la situation.
Petit exemple parmi d’autres: il mentionne une trajectoire historique possible par laquelle un Québec souverain finirait par adopter le bilinguisme officiel (je ne suis d’ailleurs pas loin de penser qu’à défaut d’être probable, ce scénario n’est pas totalement à exclure, pour des raisons que j’évoquerai peut-être dans un autre article). Un ouvrage qui assurément ne fera pas consensus, mais qui force la réflexion.

PARTIE 3
La Grande déception, Francis Boucher, Éditions Somme toute (2018)

Essai paru plus récemment, dans lequel l’auteur examine de façon lucide et humaine (notamment par des entrevues) les effets néfastes causés par les débats de la dernière décennie (notamment l’épisode de la «Charte des valeurs», qui a soulevé les passions – pour et contre elle) sur l’adhésion des personnes issues de communautés culturelles récemment installées au Québec envers le projet de souveraineté, mais je dirais aussi, plus largement, au Québec lui-même.

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