Pour un consensus renouvelé et positif sur le français et sur l’identité québécoise

Centre-ville de Montréal, métropole du Québec – et de la francophonie des Amériques (photo: Nicolas Viau)

Le Québec se donne-t-il toutes les chances pour maximiser la capacité d’attraction de son identité et du français? Les données issues du dernier recensement canadien suggèrent qu’il devrait redoubler d’efforts en la matière. Ces efforts ne sont pourtant à mon sens en rien aidés depuis une quinzaine d’années déjà de discours plutôt négatifs entourant les débats «identitaires», notamment sur les signes religieux, ainsi qu’autour de l’immigration, abordée essentiellement sous l’angle des problèmes. Des discours dont je ne peux m’empêcher de penser qu’ils ont joué un rôle important dans l’évolution des perceptions autour de la nature de l’identité québécoise et de la langue.

Arrivé au Québec en 2000, j’ai été témoin de ces évolutions: d’un discours plutôt «inclusif» (dans le cadre de la grande opposition entre souveraineté et fédéralisme), j’ai vu le débat public prendre une nouvelle tangente à partir de 2005-2007 («crise» dite des accommodements raisonnables, commission Bouchard-Taylor, notamment), pour culminer peut-être en 2019, année de la loi 21, voulue comme l’une des principales traductions politiques de ces débats.

Ceci ne signifie pas qu’il n’est pas légitime de débattre de laïcité. Le Québec doit bien sûr avoir le droit de se doter librement de lois en la matière. Cela ne signifie pas non plus qu’il ne faille pas débattre politique d’immigration, que le Québec cherche avec raison à mieux gérer lui-même, avec ses propres politiques, adaptées à son contexte particulier.

Mais selon moi, la focalisation excessive des dernières années sur ces thèmes a pu contribuer à associer – abusivement, car le Québec reste à mon sens une terre de tolérance, mais le discours influence fortement les perceptions – la défense des intérêts du Québec (ou dit plus simplement, le nationalisme*) à de l’intolérance dans l’esprit de bien des gens – francophones ou non, d’ailleurs. Quelle image renvoie le Québec aux nouveaux arrivants de ces dernières années alors que le débat public envoie de tels signaux ambigus?

Le piège d’un nationalisme «à rendement négatif»

On pourrait peut-être appeler cela un nationalisme «à rendement négatif», ou «soustractif» à rebours des ambitions de la Charte de la langue française (loi 101) – une loi intégratrice et «additive», qui à travers le français langue commune vise la participation de tous à la société québécoise et sa pérennité dans un contexte nord-américain difficile. Inutile d’en rajouter avec des discours qui, en plus d’être peu rassembleurs, compliquent encore les choses! Il faut au contraire sans cesse viser à rendre l’identité québécoise attrayante, et veiller à ne pas susciter des sentiments de rejet (de part et d’autre, d’ailleurs).

En quelques années, on aura donc préféré mettre à risque les gains de la Révolution tranquille avec des discours qui, de fait, s’en prenant à des catégories de population qui sont d’ailleurs en grande partie francophones, ont donné pour ainsi dire «gratuitement», sans avoir livré un quelconque combat politique, à la nation québécoise le «mauvais rôle». Le moment 2019 aura-t-il été un contre-1977 (année de la loi 101)?

Je ne suis bien sûr loin d’être le premier à remarquer cela. Au cours de la dernière décennie, les effets néfastes de ces évolutions ont été notées par de nombreuses personnes.

L’inclusion nécessaire

Le Québec doit donc viser à être pleinement «inclusif» (même si ce terme est peut-être un peu galvaudé), c’est-à-dire tendre la main à l’ensemble de sa population, une posture commandée tant par l’humanisme (tout être humain aspire à être accepté et respecté) que par les intérêts de la nation québécoise. Il ne suffit pas d’agir par la loi et l’action de l’État (même si c’est nécessaire – pensons notamment aux clauses scolaires de la loi 101), mais le Québec doit aussi constamment convaincre pour attirer à lui et au fait français les nouveaux venus. Le Québec a donc tout à gagner à se montrer le plus inclusif possible. Ça tombe bien, une langue, ça s’apprend!

Il faudrait peut-être ici suivre l’exemple des communautés francophones hors-Québec, certes dans un contexte très différent, qui n’hésitent pas à absorber aussi rapidement que possible l’immigration francophone, et même à en réclamer plus. Le Québec, non pas communauté francophone minoritaire mais territoire recevant une immigration importante et diversifiée, et ayant vocation à être société d’accueil, est bien sûr très différent. Mais dans les deux cas, l’avenir est fortement lié à la capacité d’attraction et d’intégration de personnes venues d’ailleurs. Le succès n’est jamais garanti, mais ne pas le faire, ce serait devoir se résoudre au déclin continu du français.

Cette volonté d’intégration par notre langue commune n’est de plus pas du tout incompatible avec le pluralisme. Chaque personne a différentes facettes: des origines, un parcours, des références identitaires, sa langue… Celles-ci enrichissent la société et n’empêchent pas l’appartenance civique commune. C’est d’ailleurs plus ou moins ce qu’on a cherché à codifier sous le terme d’interculturalisme. Personne ou presque ne s’offusque d’ailleurs à Toronto ou Vancouver que l’anglais y soit la seule langue publique de villes souvent présentées comme des havres de diversité…

Le rôle de Montréal – la métropole du Québec

Ces débats ont aussi fait ressortir l’opposition entre Montréal et les régions. Si elle a jusqu’à un certain point toujours existé (comme pour toutes les grandes villes), elle comporte aussi des risques. La métropole dessert l’ensemble du Québec et appartient à tous les Québécois. Montréal et le reste du Québec vivent donc en symbiose. La possibilité de vivre en français une vie personnelle, culturelle et professionnelle complète dans une métropole est une question essentielle pour l’avenir du Québec. Je ne vise pas ici à minimiser le rôle de Québec, en tant que capitale, ni des autres villes du Québec (y compris à l’avenir). Mais avec près de la moitié de la population québécoise concentrée dans la grande région métropolitaine, on est pour l’instant de fait dans un autre ordre de grandeur.

Si Montréal n’est pas la métropole francophone du Québec – et des Amériques – alors, de quelle ville s’agirait-il? Montréal est la seule métropole francophone d’Amérique du Nord. Sans un Montréal permettant de vivre en français, partir en ville serait presque toujours synonyme de faire carrière en anglais, et certains secteurs n’existeraient tout simplement pas en français. Parmi les services fournis par Montréal, on compte par exemple: un grand aéroport international, des universités d’envergure, sa fonction de porte d’entrée pour les immigrants et les étrangers de passage, des organisations internationales, services financiers et sièges sociaux des grandes entreprises d’envergure nationale et internationale, et plus. Il faut donc se garder des discours qui viseraient à promouvoir une contre-identité montréalaise opposée au Québec, où le français serait de fait marginalisé. Montréal a bien une forte identité, qui lui est propre, mais celle-ci trouve aussi l’une de ses sources dans dans sa québécité même.

Pour un discours «gagnant»

Gardons-nous aussi des discours trop défaitistes sur le recul du français. Non pas qu’il ne faille pas suivre à la loupe les évolutions des rapports de force linguistiques, et agir lorsque c’est nécessaire mais il me semble qu’on n’attire pas beaucoup de monde en s’identifiant comme perdants, et de plus, en désignant les gens qu’on souhaite (et qu’on doit) convaincre comme des adversaires ou comme la cause de tel ou tel mal. On ne gagne qu’en construisant des consensus au-delà de soi-même.

Mais tout cela nécessite du tact politique – lequel a manqué ces dernières années. Certaines catégories de la population sont indifférentes (voire réfractaires) au fait français? Peut-être, mais ce n’est pas avec une attitude négative qu’on les intéressera. C’est la différence entre être un groupe culturel parmi d’autres et se comporter comme une véritable société d’accueil.

Vers un consensus renouvelé

Quoi qu’il en soit, en plus d’une amélioration du discours public, il pourrait être utile de remettre la société (et les principaux partis politiques) sur quelques principes de base. L’action en ces matières ne peut se baser que sur des diagnostics et des buts largement partagés. De tels consensus sont possibles au Québec, qui jouit globalement d’une forte capacité de cohésion. Il n’y a qu’à voir comment la loi 101 elle-même, controversée au début, a finalement été, dans l’ensemble, soutenue par l’ensemble de la classe politique québécoise.

Quelques constats

Le Québec

  • Le Québec forme et la majorité de sa population aspire à continuer de former une nation, dont le socle est le français langue commune – sans renier la présence de l’anglais (la Charte de la langue française elle-même le reconnait) et des autres langues, notamment autochtones (lesquelles ont aussi droit à une protection).
  • La nation est bien sûr civique: toutes les personnes vivant au Québec ont vocation à faire partie de cette société. Elle a la souplesse nécessaire pour s’accommoder d’un assez large pluralisme au-delà de l’adhésion à quelques fondamentaux, entre autres linguistiques.
  • La poursuite de l’aventure du fait français en Amérique est une bonne chose pour le Québec et pour Montréal, gage d’ouverture sur un autre monde (par rapport au reste du continent) et d’originalité.
  • Le maintien au Québec d’une société où peut vivre en français dans toutes les sphères d’activité est seul moyen de garantir dans les faits l’avenir de notre langue en Amérique du Nord, y compris pour les communautés francophones minoritaires, pour lequel le Québec reste un pôle essentiel.

Montréal – métropole francophone

  • Montréal est la seule métropole francophone de l’Amérique du Nord – c’est-à-dire une ville d’envergure mondiale disposant d’un tissu économique et culturel actuellement sans équivalent dans les autres villes et agglomérations du territoire qu’elle dessert en priorité (et réciproquement): le Québec.
  • Découlant du point précédent, le rôle de Montréal n’est pas simplement quantitatif (une ville francophone de plus ou de moins), mais qualitatif. Dans une métropole se déploie dans la langue nationale à peu près l’ensemble des activités humaines normales – dont certaines ne se retrouvent que dans une grande ville – et elle est un grand bassin d’emploi pour sa périphérie. Son influence est donc considérable. Aucune autre ville du Québec ne peut actuellement la suppléer dans ce rôle.
  • Il est néfaste d’opposer Montréal et région, qui en réalité vivent en symbiose.

L’asymétrie entre français et anglais

  • Le rapport de force entre français et anglais reste très déséquilibré et en faveur de ce dernier, et la situation ne s’améliore pas (voir le dernier recensement) – même le gouvernement fédéral le reconnaît aujourd’hui!
  • Montréal est une terre de contacts. De par son histoire et par sa géographie, et de part sa communauté anglophone historique (et légitime), l’anglais y sera toujours présent à titre ou à un autre, qui vit donc de fait un certain degré de bilinguisme, renforcé par le statut actuel de l’anglais comme lingua franca mondiale.
  • De ce constat découle l’impératif de mettre en place et de conserver de vigoureuses politiques de protection et de promotion du français. Montréal doit continuer de s’afficher comme ville francophone. Sans mesures, sans loi 101, le rapport de force en faveur de l’anglais serait encore plus déséquilibré et inégal. Le bilinguisme officiel intégral ou le laisser-faire total n’aurait essentiellement pour effet que d’assoir l’anglais comme la langue publique.
  • Il faut porter une attention particulière aux institutions publiques, notamment celles d’enseignement et de recherche.

Convaincre, inclure et réussir

  • La loi 101 est une loi inclusive, qui vise à diffuser et à encourager l’usage du français pour tous les Québécois, quelle que soit leur origine.
  • L’identité québécoise et la langue française ne sont pas l’apanage d’un groupe particulier, mais concernent tout le monde. Il faut s’adresser prioritairement aux non-francophones et aux francophones indifférents. Il ne sert à rien de constamment prêcher des convertis.
  • Il ne faut pas hésiter à aller vite – plus vite que dans le reste du Canada, même – en matière de représentativité des communautés culturelles récemment arrivées, pour qu’elles puissent le plus rapidement possible se sentir à leur aise dans la société québécoise et dans la francophonie.
  • Les discours et mesures creusant un fossé entre le Québec en général et les néo-Québécois sont non seulement souvent blessantes pour ces derniers, mais aussi contraires aux intérêts du Québec.
  • Les Québécois anglophones, tout en disposant légitimement de garanties linguistiques et culturelles (la Charte de la langue française elle-même en convient), doivent être encouragés à s’approprier le français.
  • Bien entendu, la dignité et l’autonomie des nations autochtones du Québec doivent elles aussi être reconnues.
  • Le Québec devrait être d’autant plus empathique et ouvert à l’égard des groupes défavorisés au vu de son propre parcours d’émancipation nationale.

*Aux lecteurs de l’extérieur du Québec: le terme «nationalisme» n’est pas connoté négativement au Québec comme il peut l’être en Europe, et désigne simplement le fait de s’identifier prioritairement au Québec et à ses intérêts. Il est tout à fait compatible avec des positions sociales de gauche comme de droite.

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