Troisième d’une série de quatre articles présentant quelques réflexions sur le Québec d’aujourd’hui.
Partie 1 / Partie 2 / Partie 4
J’hésite quelque peu à rédiger une partie sur le sujet, celui de la société québécoise elle-même, y compris celle de l’intégration des nouveaux arrivants, tant ces sujets sont devenus intensément polémiques ces dernières années. Mais force est de constater que ces débats ont cours actuellement.
Nous avons parlé dans la partie 2 des différents espaces d’appartenance du Québec, à un niveau qu’on pourrait qualifier de «géopolitique». N’oublions pas qu’à un niveau moins «macro», plusieurs de ces espaces rejoignent directement le Québec par l’immigration, tant les pays francophones que ceux d’Amérique latine constituant des sources majeures d’immigration dans le Québec moderne – et bien d’autres aussi, d’ailleurs.
Susciter l’adhésion à l’identité québécoise
L’identité est un concept à plusieurs facettes, mais la langue est bien sûr au cœur de l’identité québécoise moderne. Ça tombe bien d’ailleurs, une langue, ça s’apprend! L’envie de parler français et de participer à l’espace public québécois ne peut toutefois que découler d’une envie d’adhérer à cette société. Des progrès immenses ont été accomplis depuis la Révolution tranquille, et on trouve aujourd’hui des Québécois francophones de toutes origines – les célèbres «enfants de la loi 101». Le succès de l’intégration – et la pérennité de la francophonie québécoise – découle donc de la possibilité de susciter l’adhésion à une société dynamique et perçue favorablement par ses membres, y compris les plus récents.
Toutefois, après les débats de la dernière décennie, jusqu’à tout récemment la loi 21, admettons qu’il y a quelques pots cassés à réparer. Le discours ambiant semble ramener implicitement l’identité québécoise à quelque chose de défensif voire exclusif – peu importe que ce soit vrai ou non, en cette matière, la perception constitue probablement la moitié de la réalité – attitude qui ne peut que nuire au Québec, alors que la priorité numéro un du Québec doit être d’additionner – plutôt que de soustraire.
On peut d’ailleurs se désoler de l’évolution du ton du débat au cours des dernières décennies. À mon souvenir, au début des années 2000, le discours sur l’identité québécoise, au sortir d’une décennie pourtant extrêmement intense politiquement, était très fortement porté sur l’inclusion de toutes les personnes vivant au Québec.
Petit détour: pour une nation civique
Ces attitudes s’accordent d’ailleurs dans les faits assez bien avec le «multiculturalisme» qu’elles prétendent dénoncer, ayant tendance reléguant la société québécoise au statut de groupe parmi d’autres plutôt qu’à celle de nation (civique) intégratrice qu’elle aspire à être – c’est-à-dire une collectivité inclusive pour tous ses membres – et qu’elle a réussi à devenir, au moins partiellement depuis la loi 101. La nation – et pas seulement au Québec – reste une réalité socio-politique réelle et positive, au sens où c’est ce qui unit les membres d’une société, par-delà leurs différences, lesquelles ne sont pas niées pour autant (par exemple pour lutter contre les discriminations). Elle n’exclut pas non plus d’autres collectivités d’appartenance ou d’identité. Elle est ouverte à ceux qui veulent la rejoindre. Elle est un produit «du sol», constituée par le vivre-ensemble dans un même coin du monde, plutôt que «du sang». Rien de très original dans cette définition, mais je crois que ça vaut la peine d’être rappelé…
À mon sens, c’est un honneur pour une communauté nationale que des gens de partout veuillent se joindre à elle – et le plus souvent, une fierté pour ces personnes.
Alors, on dira que la contrainte du point de vue québécois est que, depuis l’ère Trudeau (père), le Canada propose son propre modèle de nation civique, dont le bilinguisme officiel est l’un des piliers. D’un côté, le nationalisme québécois n’a cessé de le critiquer au nom du statut optionnel du français, laissé au choix individuel, et donc fragilisé, là où la loi 101 en fait la langue commune. D’un autre côté, il faut reconnaitre que cet attribut n’a justement de substance réelle que par la présence du Québec, et est en assez grande partie un produit des débats autour de son statut. Pour reformuler les mots de Trudeau (fils cette fois), le bilinguisme canadien découle essentiellement de la présence d’un Québec francophone. Tout cela pour dire que si les «modèles» sont peut-être moins directement opposés que l’on pense, le Québec – qui reste l’espace social de référence pour une grande majorité de sa population, y compris récente – doit inclure.
Des espaces aux atomes (crochus)
Le renforcement des appartenances aux différents espaces, tel que discuté précédemment, permettrait peut-être aussi symboliquement de valoriser l’appartenance au Québec des immigrants qui en sont originaires. Par là, je ne veux pas dire que l’apport de ceux et celles qui n’en proviennent pas n’est pas à valoriser – l’immigration au Québec provient du monde entier – mais c’est justement parce que des sociétés ont une familiarité préexistante avec le Québec – notamment par la connaissance de la langue – que leurs membres le choisissent comme destination favorable pour y étudier, y travailler, s’y établir. D’ailleurs, avec son système de sélection, le Québec les a généralement aussi lui-même choisis.
Alors pourquoi ne pas utiliser ces atomes crochus lorsqu’ils existent? Ajoutons d’ailleurs qu’en ces temps de débats difficiles autour de la notion de laïcité, la sphère francophone rassemble par exemple de très nombreuses sociétés, par exemple d’Afrique du Nord et de l’Ouest, quelquefois perçues par la société d’accueil comme fort différentes. Ne serait-il plus profitable pour le Québec de rappeler ce qui nous rassemble? Le Québec gaspillerait moins de capital sociopolitique, et les personnes concernées s’en porteraient sûrement mieux. Car – est-il besoin de la rappeler? – d’où que nous venions, nous n’en sommes pas moins humains, et aspirons tous à être acceptés par nos semblables plutôt que rejetés.
Quelques pistes
Dans ce contexte, pourquoi le Québec ne devancerait-il pa de lui-même l’octroi de certains droits liés à la citoyenneté – la naturalisation étant régie par le droit fédéral – en offrant le droit de vote aux élections municipales – voire provinciales aux personnes possédant la résidence permanente qu’il a sélectionnées? Une belle marque d’accueil dans la société québécoise!
L’Écosse a bien offert le droit de vote lors de son référendum aux citoyens de l’UE et du Commonwealth qui y résidaient. La loi a été modifiée en 2020 pour permettre à tous les étrangers résidant en Écosse de voter et d’être élus, le gouvernement (nationaliste) écossais souhaitant envoyer le message que l’Écosse est «ouverte et accueillante».
Note: les citoyens de l’UE ont le droit de vote aux élections européennes et municipales de leur État membre de résidence, partout dans l’UE. Les citoyens des États membres du Commonwealth résidant au Royaume-Uni ont aussi le droit de vote. Une loi avait déjà été passée pour le référendum.
En ce qui concerne la naturalisation elle-même, notons qu’en Suisse, où cette compétence est partagée (p. ex. voir ici le canton de Vaud, le plus grand canton francophone, qui exige la connaissance du français dans le cadre de son processus), ne pourrait-il pas aussi être envisagé de faire de la connaissance du français une condition pour l’obtention de la citoyenneté canadienne au Québec? Il est normal que les nouveaux citoyens maitrisent la langue commune de la société – d’autant que dans bien des cas c’est le gouvernement du Québec lui-même qui les a sélectionnés.
Une nation des Amériques – réconciliée
Pour faire aussi suite à la mention des Amériques comme l’un des espaces importants pour le Québec, rappelons qu’elles sont aussi bien représenté par dans la composition de l’immigration des dernières décennies, qu’il s’agisse de l’Amérique latine ou de la région des Caraïbes.
Autre réalité québécoise, canadienne et panaméricaine, celle des peuples autochtones, premiers habitants de ce continent, alors qu’on parle ces années-ci d’une (certes difficile) réconciliation et qu’il semble y avoir une prise de conscience graduelle dans la société au sujet des enjeux les touchant. Le Québec ne devrait-il pas se donner pour objectif l’exemplarité dans le respects des droits des peuples autochtones présents sur son territoire? J’avoue être encore loin de bien maitriser le sujet, et je suis conscient que le Québec n’a pas nécessairement toutes les clés juridiques en main.
Mais comme ailleurs sur le continent, je crois que tout le monde sait que de grands progrès restent à accomplir. Le Québec, de son expérience historique de «colonisateur colonisé», ne serait-il pas un peu plus prédisposé à comprendre ces peuples que d’autres? Ce serait en tout cas à son honneur.
À ce chapitre ne serait-il pas être utile de rendre plus visibles des symboles perçus positivement, comme la Grande Paix de Montréal (4 aout 1701), qui pourrait par exemple devenir un jour férié tel que proposé proposé ici?
Une identité additive
Reculons d’un pas et rappelons-nous maintenant notre discussion sur les différents espaces d’appartenance de la partie précédente. Quelle différence avec la situation actuelle? Juridiquement, peut-être pas grand-chose, mais symboliquement, peut-être un peu plus. Les appartenances sont multiples – il est par ailleurs normal dans les que certains se sentent plus fortement attachés à un niveau plutôt qu’à un autre – c’est peut-être l’une des vertus, philosophiques du moins, du fédéralisme. J’y adjoins, par cet appel à multiplier ces appartenances non exclusives, à ajouter à l’édifice fédéral «vertical», des espaces «horizontaux», le Québec se voyant non uniquement comme partie du Canada mais comme une entité se trouvant à l’intersection du Canada et de ces autres ensembles.
On obtient une construction de l’identité additive plutôt que soustractive, nécessaire pour assurer la pérennité du Québec. Une vision des choses qui pourrait peut-être aussi faciliter l’adhésion des nouveaux venus, qui deviennent membres d’une collectivité non pas étroite mais au contraire tournée vers le monde et l’avenir. Bref, une façon de redonner un certain élan et enthousiasme au processus; il est difficile de rallier des gens sur un discours exclusivement défensif. Le Québec est certes distinct, mais il l’est entre autres par l’intersection des différents espaces auxquels il appartient, on définit une spécificité, sans rétrécir son horizon et ses possibilités. Une spécificité universelle en quelque sorte! Ou serait-ce une universalité spécifique?
Un propos à la fois lucide, mesuré et nuancé. Ça fait du bien ces temps-ci.