Orthographe: quelles seraient les réformes efficaces?

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La norme graphique du français contient, comme on le sait, plusieurs irrégularités ou points de complexité. Certains sont lexicaux (mots de vocabulaire) et d’autres, grammaticaux (marqueurs de relations grammaticales, comme les –s du pluriel, –e du féminin, –nt des formes verbales). La prononciation du français a évolué bien plus vite que l’orthographe, malgré les réformes effectuées par petites touches depuis le 17e siècle. Au-delà des irrégularités internes du système orthographique, ces changements phonétiques naturels ont considérablement éloigné l’oral de l’écrit dans notre langue, jusqu’à y laisser des divergences assez marquées entre la morphologie de l’oral et celle de l’écrit.

Le français n’est bien sûr pas la seule langue dont la norme écrite présente un certain niveau d’opacité. L’anglais en est un bon exemple. Un point particulier de notre langue concerne toutefois une catégorie de graphèmes (en pratique des lettres ou groupes de lettres qui portent un sens) appelés morphogrammes et qui dénotent un sens ou une relation grammaticale sans nécessairement marquer un son, lesquels sont notés par des phonogrammes – je résume à l’extrême.

Par exemple, le pluriel n’est presque plus marqué depuis la chute de nombreuses consonnes finales en français parlé, mais est toujours marqué par des –s (ou –x) finaux le plus souvent inaudibles. Bien des marques en genre ne sont elles non plus prononcées (les –e muet après des voyelles, p. ex. bleu/bleue), sans oublier les nombreuses formes verbales identiques à l’oral mais divergentes à l’écrit.

Quelles sont les vraies difficultés des francophones?

Pourtant, les principes du français écrit ne sont pas – en ce qui concerne la grammaire – très différents de ceux autres langues romanes comme l’espagnol ou le portugais, des langues qu’on ne perçoit pas comme particulièrement ardues: accords en genre, marqueurs de nombre, diverses formes verbales conjuguées, absence de désinences casuelles, etc., même si leur orthographe lexicale est en effet plus régulière.

La difficulté perçue est à mon sens largement due à la distance entre l’écrit et l’oral moderne, lequel est, somme toute, relativement plus simple que l’écrit d’un point de vue morphologique: pluriel et singulier le plus souvent identiques, beaucoup moins de formes verbales qu’à l’écrit, etc. Dans les autres langues romanes, les diverses variations morphologiques sont presque toutes reflétées dans la langue écrite, ce qui n’est plus le cas en français moderne.

Pour une orthographe plus régulière

Une première approche pour améliorer le système est de réduire les irrégularités internes de l’orthographe actuelle. Cette approche se défend et c’est notamment le parti pris non seulement par les rectifications orthographiques de 1990, mais aussi par un groupe d’étude comme EROFA, (Études pour une Rationalisation de l’Orthographe Française d’Aujourd’hui) dont le travail, d’ailleurs très intéressant et complet, vise à généraliser « les grandes régularités » de l’orthographe du français et de limiter les exceptions et autres occurrences divergeant de ces principes. Nombre des propositions avancées concernent l’orthographe lexicale, mais certaines couvrent aussi l’orthographe grammaticale (participes passés notamment). J’avais mois-même amorcé mes réflexions orthographiques personnelles en tentant de régulariser l’orthographe lexicale, suivant des principes semblables, mais sans toucher à l’orthographe grammaticale (voir ici et ici). Mais est-ce seulement là que les francophones trébuchent?

…mais des régularités difficiles?

La linguiste Mireille Elchacar se demande dans un article intéressant publié en 2022 dans Les Cahiers de l’AQPF (Association québécoise des professeur·e·s de français, pp. 41-45, volume 13, numéro 2), si on cible les bons éléments dans l’enseignement et dans les réflexions et propositions liées à l’orthographe. L’étude recense les fautes les plus courantes des étudiants universitaires en français écrit.

La première place revient aux accords en nombre, qui se marquent le plus souvent par l’ajout d’un –s: il ne s’agit pas d’une exception mais de l’une des règles de base du code écrit! L’orthographe d’usage n’arrive, elle, qu’en 7e position, après les accords de participes passés, les homonymes, la conjugaison, les accords en genre et les majuscules. Les consonnes doubles, traits d’union, etc. sont aussi sources de fautes mais moins fréquemment. Comme Mme Elchacar l’écrit en conclusion, l’orthographe lexicale, « peut s’apprendre par cœur », contrairement à l’orthographe grammaticale (qui dépend de chaque contexte). Le –s (inaudible) du pluriel existe-t-il « vraiment » pour les francophones? Belle question de linguistique cognitive…

La plupart des propositions de réforme semblent considérer implicitement que l’orthographe grammaticale est plus fondamentale que l’orthographe lexicale, et ne visent donc pas à la modifier (ou à la marge). Sans avoir les données concrètes, j’avais moi aussi discuté de réformes possibles de l’orthographe grammaticale dans un article il y a quelques années. J’y réfléchissais notamment, sans changer fondamentalement l’orthographe d’usage, à la manière dont pourrait en quelque sorte réaligner la grammaire écrite sur celle de l’oral, en optant pour des formes orthographiques uniques là où la variation en genre ou en nombre ne se faisait pas entendre. J’admets toutefois que cela altèrerait considérablement notre façon d’écrire, barrière pratique majeure…

Un bon début: la réflexion sur les participes passés

La réforme des accords de participes passés (avoir et complément direct antéposé, ainsi que les participes passés pronominaux) est l’une des propositions d’évolution qui a réussi à s’imposer dans la sphère publique au cours des dernières années, en plus de sembler susciter une adhésion de plus en plus grande parmi les spécialistes de l’enseignement du français. J’avais d’ailleurs écrit un article à ce sujet l’année dernière.

Il s’agit de la deuxième source d’erreurs dans l’étude de Mireille Elchacar, tout en étant un aspect, qui sans être à proprement parler rare dans les textes, pourrait vraisemblablement être réformé sans trop de heurts. Ce n’est donc pas un mauvais endroit où commencer. Pas étonnant que Mme Elchacar ait choisi ce sujet pour sa deuxième chronique linguistique d’été dans Le Devoir!

Lectures pertinentes

Délier la langue. Pour un nouveau discours sur le français au Québec de Mireille Elchacar, paru en 2022 chez Alias. Une partie de l’ouvrage est consacrée à la question orthographique.

À quoi ressemblerait une ortografe rationèle?, de Jean-Benoît Nadeau, L’Actualité, 10 septembre 2021. Sur les propositions du groupe EROFA.

La vraie coupable des difficultés en français écrit, de Pierre Calvé, Le Devoir, 1er juin 2021. Sur l’orthographe grammaticale.

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